[Da Baskerville] Mercoledì, 16 marzo 1994 Derrick de Kerckhove: Art, technologies du virtuel et psychologie. Derrick de Kerckhove è direttore del McLuhan Program in Culture and Technology all'Università di Toronto, ed erede intellettuale di McLuhan. Tra i suoi libri Understanding 1984, UNESCO, 1984, e The Alphabet and the Brain, Springer Verlag, 1988 (con C.Lumsden). Si è occupato di teoria della comunicazione e dell'impatto sociale dei media, e delle interazioni neuro-culturali tra corpo e tecnologia. E' promotore di un ambito sperimentale che unisce l'arte, l'ingegneria e le nuove tecnologie della comunicazione. Recentemente in Italia ha pubblicato Brainframes. Mente, tecnologia, mercato, Bologna, Baskerville, 1993. ---------------------------------------------------------------------------------- Nous sommes en train de vivre le grand passage de la psychologie alphabétique à la psychologie électronique. C'est d'abord l'alphabet qui a installé le principe d'innovation et l'invention au coeur de l'épistémologie occidentale, comme stratégie cognitive normalisée. Si la plupart des inventions techniques se travaillent et se diffusent encore par et dans l'écriture alphabétique, la numérisation typographique a déjà cédé son pouvoir créateur à la numérisation électronique. La morse a servi de trait d'union entre l'alphabet et l'électricité dès le moment de l'invention de la première technologie électronique, le télégraphe. Au niveau des applications, la trasmutation de l'alphabet par l'électricité élimine le poids, les dimensions, la durée et presque toute la matérialité de nos anciennes extensions mécaniques. On voyages plus vite en téléphone qu'en avion. Notre accélération technologique atteint une vitesse quasi mutationnelle et se propage rapidement sur toute la surface et dans l'atmosphère de la Terre. Nous entrons dans une ère nouvelle de planétisation bio-technique. La mutation s'adresse tout autant sinon davantage à la psychologie, qu'à l'écologie humaine. Nous vivons à l'ère d'un élargissement sans précédent du champ d'opérations cognitives du citoyen moyen, que ce soit à l'ouest ou à l'est, au nord ou au sud. La métaphore climatique est proposée tous les soirs à la télévision comme symbole de l'unité globale de la planète. Il serait étonnant que cette rencontre quotidienne avec notre milieu naturel unifié ne finesse pas par avoir un effet de globalisation sur la conscience de tout un chacun bien avant celui des nouvelles qui nous viennent instantanément, en direct, du bout du monde. Depuis les premières photographies de la Terre depuis la lune, nous nous habituons à voir notre propre milieu dans sa totalité et à l'intégrer dans notre pensée comme la nouvelle structure de base. La rotondité de la planète est rapidement en train de remplacer l'horizon comme référence spatiale de la cognition ordinaire. Une partie importante du travail artistique consiste à interpréter les effets des technologies sur l'environnement naturel et humain et à les rendre manifestes dans la psychologie, c'est-à-dire dans le comportement émotionnel et cognitif normatifs dans la culture. Depuis et même avant la Renaissance, la recherche artistique a précédé la recherche scientifique et la théorie dans ce sens. Cet aspect de l'oeuvre des artistes, architectes, peintres, sculpteurs, écrivains et musiciens n'est pas connu, ou en tous cas pas reconnu, ni par la critique esthétique, ni par la psychologie universitaire. Si on accorde à l'art un statut civilisateur, c'est surtout à cause de ses fonctions ornementales, ses innovations stylistiques et son rôle de divertissement dans la vie quotidienne. Cette lacune de la conscience istitutionnelle me paraît assez grave, surtout de nos jours où la prolifération de technologies qui transforment le monde, la vie et la psychologie rend plus nécessaire que jamais l'intervention artistique. Ce qui manque surtout à l'ensemble de nos considération sur l'art, c'est, plus que celle de son rôle civilisateur, la prise de conscience de son rôle formateur et diffuseur dans l'élaboration des structures fondamentales de la psychologie. Longtemps avant l'apparition des traités des géomètres et des mathématiciens, les peintres et les architectes, dès avant la Renaissance avaient réussi à instaurer la perspective comme la manière naturelle de considérer l'espace visuel. Il s'agit ici de proposer une direction possible et porteuse de la recherche artistique tout en lui faisant prendre conscience des nouvelles dimensions qui s'offrent à elle et des nouvelles responsabilités qui lui incombent. En examinant les objets culturels contemporains de l'apparition des technologies, on peut comprendre l'ensemble des effets de leur impact neuro-physiologique. Parce qu'elle traduisait en signes abstraits toute la sensorialité inhérente à la communication orale, l'écriture, par exemple, a eu pour effet de divorcer la pensée du corps. Elle s'est manifestée en désensorialisant les échanges humains comme si elle n'était d'abord qu'une technique de contrôle et de maîtrise sur les sens. A partir du moment où elle a commencé à dominer les échanges socio-culturels, l'expression sensorielle est passée du règne de la nature à celui de la culture. C'est à ce niveau que le travail artistique a du reprendre certains aspects des fonctions d'instruction biologique. Chaque art représentait une spécialisation d'un sens désormais soumis à la tyrannie du sens (signification). Inversement, à l'ère du virtuel qui est en train de s'ouvrir correspond un phénomène de rapide resensorialisation. On assiste à une véritable redécouverte des valeurs sensorielles qui a commencé au temps de la télévision, dans l'euphorie d'une sensualité de consommation. Dans le virtuel, chaque sens devient l'objet d'une attention technique aussi exigente que l'attention esthétique depuis la Renaissance. On peut même affirmer que l'art et la technique se rejoignent dans le virtuel avec le même degré de précision et la même passion du détail. On devra bien se rendre compte que les structures de base de l'organisation psychologique et sociale sont toujours reconstruites et reformulées par les technologies dominantes qui saturent l'ensemble des activités humaines. Mais, par rapport au corps social, l'art, sous toutes ses formes, fonctionne comme "les sens et la peau de la culture". L'élaboration sensorielle spécialisée dans chacune des disciplines artistiques constitue de nouveaux ensembles qui reflètent à la fois les structurations techniques et les extensions sensorielles biologiques. L'art devient donc, dans ces conditions, le système de médiation entre la nature biologique et la culture technique. Il y a peu d'objets dans la culture technocentrique occidentale et maintenant de plus en plus mondiale qui échappent à cette corrélation fondamentale entre les options neurologiques conditionnées par les médias et leurs effets concrets, leurs précipités culturels. La Terre comme image du corps En s'intégrant toujours davantage dans la vie et dans le milieu domestiques, nos extensions technologiques se rapprochent à nouveau du corps dont elles s'étaient éloignées à l'ère mécanique. Leur caractère éminemment "prosthétique" vient de ce que l'électricité est le médium commun au corps biologique et à ses extensions techniques. Un enfant qui joue avec un Nintendo, joue avec l'extension technique de son système nerveux, avec feedback et feedforward instantanés. A une autre échelle, la prolifération des technologies de communication couvre la Terre d'un réseau à la fois neuro-technique et sensoriel. Une multitude d'activités de saisie et de transmission d'informations vitales non seulement pour l'écologie, mais aussi pour l'industrie et pour la sureté internationale, se produit à la vitesse de la lumière, donc plus rapidement encore que nos sens physiques ne le font pour chacun de nous, et cela sur des distances incomparables. Satellites, radars et relais suscitent de nouveaux systèmes de régulation automatique tant sur le plan de la surveillance militaire que de celle des conditions climatiques. La planète entière s'équipe d'un système nerveux. Donc la notion d'une continuité entre le corps et la pensée individuels et le corps et la pensée globales est plus qu'une simple "vue de l'esprit". C'est cela, et le fait que la Terre est désormais perçue comme une seule unité, qui globalise le champ des activités cognitives des individus aussi bien que des sociétés. La Terre et non pas la nature en tant que telle est le véritable milieu d'activité de la conscience écologique. La Terre est notre nouvelle "image du corps". Contraction de l'espace et du temps terrestres La croissance de plus en plus rapide de la conscience écologique vient d'un double mouvement complémentaire d'élargissement et de contraction, tous deux issus des technologies d'accès instantané qui augmentent la portée de notre contrôle spatial et suppriment les délais de trasmission. En même temps qu'ils augmentent le champ d'opérations cognitives et sensorielles, les moyens de communication électroniques le circonscrivent pour le faire coincider avec les limites extrêmes de l'atmosphère terrestre. Parce que cet espace devient co-extensif à l'espace mental individuel, au plan psychologique, il devient une réalité aussi privée que publique. En insistant sur la métaphore de la pollution, la conscience écologique indique que le milieu vital n'est plus neutre, qu'il colle à la peau et qu'il est envahi par des matériaux, des éffluves et des réactions chimiques tenues pour indésiderables. La problématiques écologique des pluies acides et des trous dans la couche d'ozone est présentée d'abord comme un danger planétaire, mais, du point de vue de la sensibilité individuelle, il est possible de concevoir l'atmosphère, elle-même comme une sorte d'extension de notre peau et les satellites comme le système épidermique global qui éntend et définit nos nouvelles limites individuelles. Par ailleurs le sens des limites de nos ressources naturelles, depuis la nouvelle théologie de "halte à la croissance", propose aussi la nature comme un monde fini. On s'interroge non seulement sur les chances de durée des ressources naturelles et des populations qui en dépendent, mais aussi sur l'âge de la Terre. On fait des prognostics sur l'estimation exacte de l'époque du refroidissement du soleil. On se transporte donc psychologiquement à l'autre bout de l'histoire tellurique pour prendre conscience de la mort planétaire. Il est possible que le germe de ce type de projection catastrofique ait été planté par la menace nucléaire, mais cette dernière, ayant cessé d'être généralisée depuis la désintégration de l'Union Soviétique, a cédé le terrain cognitif à des préoccupations écologiques plutôt que militaires. La mort projetée de la Terre devient une extension du sens de la mort chez chacun de nous et les limites temporelles de la planète viennent s'ajouter au sens de notre propre finitude. Simultanément, la reconnaissance des limites spatiales et temporelles de la planète, en lui proposant de nouvelles frontières qui la dépassent mais qu'elle peut et doit dépasser, favorise la croissance de la conscience humaine, d'abord collective et istitutionnelle, mais bientôt individuelle, à l'échelle de la Terre. Dites "écologie" et la plupart des gens, même les personnes qui sont indifférentes à ce genre de question, vont se mettre à imaginer à l'instant, suivant diverses formules, à divers degrés d'exigeance, une sorte de vaste milieu aux contours flous, criblé de petites sondes, métaphores de nos inquiétudes et de nos interrogations. Ce milieu est celui de notre réalité biologique étendue et la solution de continuité entre le corps individuel et le monde, naguère précisée par les limites de la peau, est désormais moins précise. D'autre part, l'idée romantique d'une nature libre de toute intervention humaine est à jamais périmée. Désormais, toute considération sur la nature qu'elle soit esthétique ou écologique doit s'accompagner de l'inclusion et non plus de l'exclusion des technologies. Au plan psychologique, nos interactions techniques avec l'environnement global posent le problème de déterminer exactement où s'arrête ce qui revient exclusivement à ma présence au monde et où commence la zone du monde qui ne dépend aucunement de moi. Ce genre de questions ne relève pas d'abord de la sensibilité écologique, mais du travail de l'art. Par ailleurs, le virtuel se profile déjà à l'horizon comme le marché et l'économie de l'avenir. Le virtuel est la synthèse individualisée des technologies électroniques comme l'automobile est la synthèse individualisée des technologies mécaniques. Il est temps d'interroger l'art sur ses implications psychologiques. Nous attendons une nouvelle Renaissance, non plus destinée, comme la première, à installer en nous les structures fondamentales de la psychologie occidentale, mais à nous doter d'une psychologie globale qui inclut le monde entier dans notre fors intérieur, au lieu de l'exclure comme jadis. Le travail de l'art sur la psychologie, c'est d'arriver à faire se résorber nos pouvoirs techniques à l'intérieur même de notre champ cognitif personnalisé. Ce n'est pas seulement parce que ceux-ci sont devenues indispensables pour nourrir et protéger la masse humaine croissante, mais c'est aussi parce qu'ils sont devenus indispensables pour comprendre le monde. Et si la culture domine, qu'on cesse de prétendre que la nature est "naturelle". La nouvelle figure de être humain qui se profile déjà à l'horizon est celle de l'homme environnemental doué d'une conscience écologique. Sensibilité esthétique et sensibilité écologique, même combat. Espace vide, espace plein Il y a d'abord que la perception de l'espace naturel a changé sans qu'on s'en soit clairement rendu compte. L'intuition première était celle d'un espace neutre et "vide" caractéristique des considérations scientifiques du début des Temps Modernes ("La nature a- t- elle horreur du vide?" - "un arbre qui tombe dans la forêt produit-il un son si personne n'est là pour l'entendre?"). Cette intuition, jamais vérifiée, mais intériorisée dans la psychologie alphabétique, avait d'ailleurs remplacé celle d'un espace plein, signalée par exemple par le vocabulaire grec prélittéré autour de la notion de pneuma, le souffle, qui impliquait que toute sensation, toute perception était "respirée dans le poumons" avant d'être soumise à la spécialisation des sens introduite par la pratique de l'alphabet. Notons au passage que la plupart des sociétés sans alphabet, et notamment le Japon qui cultive la notion prépondérante de l'espace intervallaire dans le concept du MA, se sont toujours comportées comme si l'espace n'était pas neutre, mais rempli de présences à la fois mythiques et dynamiques. Aujourd'hui, la prolifération des ondes électro-magnétiques de l'industrie des communications nous renvoie à l'intuition non formulée que l'espace n'est pas vide, il est plein. S'il est plein, son intégrité est susceptible d'être mise en péril et on découvre tout le temps de nouveaux types de pollution aérienne pour le prouver: pollutions chimique, radioactive, sonore, bio-électrique, etc. Poussières entre le hard et le soft D'autre part, l'étymologie de pollution qui vient de la notion de "poussière", indique une deuxième source profonde, métaphorique, de l'angoisse écologique. La rencontre brutale entre la culture industrielle et la culture électronique suscite un interface abrasif, donc pulvérisant entre les formes dures des machines industrielles et la douceur pénétrante des électrons. La nouvelle psychologie électronique trouve "sale" et menaçant l'héritage industriel. Là aussi, on trouve un précédent dans la culture grecque antique qui avait diffusé le concept de miasma ("air impur", "contagion") dans les cultes religieux et dans la tragédie, probablement comme métaphore mythopoiétique de la rencontre aussi brutale entre la psychologie tribale et la psychologie littérée. Dans cet ordre d'idées, l'oevre écopsychologique maîtresse est sans contredit le travail de Mark Pauline et de son Survival Technologies Lab à San Francisco. Pauline met en présence dans des parcs-autos des magazins de grande surface des machines mécaniques et électroniques qui se livrent un combat à mort pour la plus grande joie de milliers de spectateurs. Sur le plan technique, la victoire définitive de l'électricité sur la mécanique explosive vient d'être consacrée par une invention de l'ingénierie minière canadienne qui permet de pulvériser un rocher sans dynamite, grâce à une violente secousse électrique. Le système nerveux étendu La troisième source de notre sensibilité à la pollution, complémentaire de la première est celle que nous avons déjà signalée dans un autre contexte, soit l'extériorisation technologique de notre système nerveux à l'echelle environnementale. Le feedback instantané d'informations vitales sur la planète ressemble de plus en plus à une proprioception qui va de l'individu à l'environnement. L'effet de retour psycho-technologique de ces extensions sur la psychologie individuelle, accompagné de celui des métaphorisations sensori-cognitives proposées par les ordinateurs attire aujourd'hui l'attention sue le système nerveux comme éco-système prioritaire. La plupart des sociétés avancées sont en train de cesser de boire et de fumer parce qu'on est capable désormais d'imaginer sinon de connaître avec plus de précision les effets détrimentaires des intoxications sur le système nerveux désormais érigé en milieu sacralisé. De nouveau, il y a un précédent a contrario, l'adoption rapide du tabac dans la vie quotidienne au 17e siècle. Cette tendance, pas mieux expliquée à son apparition qu'à son départ, rappelle que l'inhalation de la fumée est le meilleur moyen de séparer la tête du reste du corps pour la mettre au pouvoir, autre réponse incosciente à l'impact intellectualisant et désensorialisant de l'alphabétisation massive. La fumée est aussi un écran protecteur des limites individuelles et de la zone privée de la personne. Naguère source de plaisirs tenus pour innocents, la condamnation du tabac aujourd'hui fait écho à la condamnation bientôt sans appel de l'industrie pétrolière qui pollue les poumons de la planète. Nos extensions techno-sensorielles introduisent par ailleurs une nouvelle transparence du monde, ou, pour reprendre une expression de Paul Virilio, une trans-apparence. Nous sommes désormais invités à parteciper par l'oeil et par l'oreille des médias à la dégradation des équilibres écologiques et sociaux. Comme l'ont prouvé les précautions prises par l'appareil militaire américain pour empêcher que la réalité de la guerre du Golfe ne pénètre dans les foyers américains, il est probable que le règlement des conflits mondiaux manu militari deviendra insupportable aux citoyens ordinaires de tous les pays. La coscience politique et économique devra tôt ou tard venir se ranger sous les priorités de la coscience écologique. Mais c'est à partir d'une notion de l'écologie élargie par l'inclusion des technologies, que je voudrais parler d'art ici. Doués de moyens techniques sans précédent, se sentant instinctivement chargés de leur faire dire plus que leurs finalités techniques et commerciales, des certaines d'artistes de par le monde s'engagent délibérément dans la recherche d'une nouvelle manière d'être au monde. Critères de restructuration pychologique Nos extensions biotechnologiques, et spécifiquement les technologies virtuelles, nous invitent à inclure l'espace plûtot qu'à être uniquement inclus par lui. Ici le paradoxe de Pascal se vérifie absolutament: "Par l'espace l'univers me comprend, par la pensée, je le comprends". Avec l'électricité, nous avons un contact instantané avec n'importe quel point du globe. Pourquoi nier que ce pouvoir nous invite à intégrer le monde en nous d'une façon différente que par le passé? Tous les médias, toutes les technologies travaillent ensemble pour nous fabriquer un rapport au monde. 1. Extension de la proprioception au delà des limites de la peau Alors que l'alphabet conférait à l'oeil une domination absolue sur les autre sens, l'électricité, de plusieurs façon et d'abord en les traduisant par le truchement de la numérisation, les réintègre dans une nouvelle synergie. Paradoxalement, le sens le plus réprimé dans notre culture visuelle, le toucher, est celui qui propose la problématique la plus intéressante. C'est l'électricité qui le ramène à la surface. L'électricité n'est pas seulement de la lumière, c'est une forme très subtile de toucher qui nous met en contact simultanément avec toute la planète d'un coup. Les électrons ne se déplacent pas linéairement, mais, dans leur mouvement vorticiel, ils se poussent instantanément d'un bout à l'autre du monde. Par l'électricité, en branchant le téléphone où la télé, nous touchons un point éloigné du monde, un peu de la même façon que nous entrons en contact, par la pensée, avec l'une ou l'autre partie de notre propre corps. Le nouveau champ sensori-cognitif étendu n'est pas simplement conceptuel ou théorique, car il est soutenu et vérifié par le pouvoir d'accès de tout un chacun à n'importe quel point du globe. Téléphone, télécopie, télévisions et radios mondiales nous dotent de systèmes de perceptions, élargies, d'extensions sensorielles qui nous mettent en rapport proprioceptif instantané avec tout sur tout. Par ailleurs, dans le sens de cette extériorisation de notre système nerveux qu'avait prédite McLuhan, la nouvelle tendance des médias est de décentraliser les moyens de production et de diffusion, et de multiplier les réseaux d'interaction de tout un chacun. D'une part, de nouvelles communautés électroniques sont en train de se former par delà les frontières nationales, et de l'autre, les individus eux-mêmes se constituent par téléphone, vidéophones, modems, codecs et autres extensions comme s'ils étaient les points nodaux de leurs propres réseaux. Il se peut que ces personnes, de plus en plus nombreuses finissent par reconnaître que l'ensemble de leurs réseaux personnalisés constituent une image de leur propre corps élargi. Mais le téléphone apparemment ne suffit pas, la télé non plus, pour nous dire que nous sommes là, en présence, partout où nous avons accès, et que nous sommes donc responsable de tous ces lieux, dans la mesure où nous en gagnons l'accès. Nous ne pouvons commencer à croire à notre nouvelle dimension, que si nous pouvons la toucher formellement. Quan nous touchons, nos croyons nos yeux et nos oreilles. Ménager des contacts physiques interactif à très grande distance, c'est le rêve des artistes canadiens, Français, Italiens, américains et autre, Russes même, qui pratiquent sciemment ou non l'esthétique de la communication. Au Canada, par exemple, on travaille en juin 1986, entre Paris et Toronto: deux leviers reliés par téléphone, modems, ordinateurs et moteurs interposés pour créer une sensation de pression physique en direct au delà de le système également relié par téléphone, permet à des danseurs d'un bout de monde à l'autre, de créer et de composer et de moduler leur propre musique par les mouvements de leurs corps. Rokeby s'intéresse avant tout à recréer le sens de la présence intime à très grande distance. Au lieu de la voix désincarnée du téléphone, de l'image intouchable de la visioconférence, il propose un corps-à-corps musical avec le son tout près du toucher. Ces artistes et d'autres proposent des événements qui obligent l'imagination à se situer dans un vaste espace, et d'y jouer un rôle actif, à la fois public et personnel. Je parle ici de milliers de kilomètres-la moindre des choses pour une planète. 2. Repositionnement du sujet dans l'environnement La réalité virtuelle est démesurée. En elle, les proportions ne signifient pas l'ordre en soi, mais tel ordre entre autres. Elle se soumet à toutes les proportions, et peut d'un mouvement passer de l'échelle planétaire à celle d'une seule molécule, d'un seul atome. A cause de l'intégration proprioceptive du corps physique et du corps techinique, proprioception qui porte sur d'immenses distances bien au delà de la portée du regard, à cause aussi de sa manipulation obligée par les techniques d'enregistrement et de diffusion vidéo, le point de vue, sacralisé par l'art de la Renaissance, est devenu insuffisant pour marquer la position royale du sujet dans l'environnement. L'image virtuelle se prête au point de vue mais elle ne se donne pas une fois pour toute comme référence stable et fiable. L'horizon et la posture verticale ont depuis longtemps cessé d'y être des références obligées. La seule référence durable du moi, n'est plus son point de vue, qui a cessé de lui appartenir en propre, mais son point d'être. Je suis à Toronto, mais mon image, ma voix et mon geste sont diffusables partout. Ma psychologie n'est plus imperméable aux infiltrations de la psychologie ambiante. Ma conscience , naguère privée, désormais se double d'une enveloppe collective à la quelle j'ai part, mais que je partage avec d'autres et qui, comme le réseau télématique, est vulnérable à de savantes et lucratives intrusions. Les modèles, les brouillons de mes actions, jadis elaborés dans le secret de ma pensée, avec tous les risques d'erreur et d'omission que cela implique, sont maintenant sur écran. Tout le contenu de la psychologie renaissante s'évide rapidement au gré des inventions techniques, des logiciels, et devient matère à des improvisations sur le virtuel... Comme l'affirme encore Lanier, "l'expérience, c'est quelque chose qu'on pourra désormais mettre en mémoire dans un ordinateur" . L'image du corps que l'écran interactif ou le miroir virtuel renvoient n'est pas celle d'un seul être enfermé dans sa peau. C'est l'image d'un réseau ouvert protéen, tentaculaire. 2L'homme y passe à travers des forêts de symboles qui l'observent avec des regards familiers" (Charles Baudelaire). La plupart de nos perceptions étendues, canalisées par le médias, nous arrivent sans tenir compte de l'horizon, ni même de notre posture verticale. Ce que nous ne voyons pas, bien au delà des limites du champs visuel, nous le contactons, manière canalisée. Ce n'est pas innocemment que les lunettes vidéos des réalités virtuelless'appellent en anglais des eyephones, des "téléphones pour les yeux". On parle déjà de projeter des images au laser directement dans la pupille. Nous sommes voués à passer de plus en plus de temps dans un milieu de vision artificielle qui se substitue à celui de la vision naturelle. Depuis l'écran du Nintendo à celui de la station de travail informatique, en passant par celui de la télévision et son annexe, l'écran de cinéma, nous en arrivons à passer plus de temps devant un écran que devant la réalité visuelle du monde. Cette vision-tunnel, limitée, supprime les contours de l'horizon et nous amène les perception visuelles sur le monde ponctuel caractérique des autres sens. Il faut donc trouver un autre point central de références pour nous orienter psychologiquement dans cette expansion et complexification prodigieuse de nos facultés sensorielles. Ce nouveau lieu de réference, d'auto-perception est le "point d'être" qui élargit à des perceptions subtilment tactiles à partir du corps phisyque le champ d'opérations cognitives permises par le point de vue. Le point d'être permet aussi d'invoquer la stimulation d'une sensibilité des réseaux par les moyens d'action à distance et l'intégration des technologies sur le monde tactile. Remarquons, par exemple, qu'avec le téléphone cellulaire, on ne concte plus des lieux, mais des personnes où qu'elles soient. Un autre chargement important est en train de se produire dans la spatialisation de nos rapports avec le milieu visuel. La peinture renaissance et la lecture nous avaient habitué à voir le monde en forme de carré de tarte, toujours frontalment, à l'hauteur des yeux, rien au dessus, rien en dessous, rien dans le dos, rien sous les pieds. Les autres sens qui, jusqu'à l'apparition de la perspective, étaient environnementaux, c'est-à-dire reliés à l'environnement, étaient réduits par la tyrannie du regard à des fonctions plutôt instrumentales que cognitives. Ils servaient d'abord à informer le point de vue avant de contribuer à relier les gens entre eux. L'apparition du point d'être comme référence spatio-temporelle de ma position dans le monde appelle aussi une trasformation des stratégies de contrôle visuel. Les nouvelles technologies vidéo et les machines virtuelles sont à la recherche d'une vision à 360 degrés, pour ne pas dire sphéroide. Déjà, on ne se contente plus de regarder l'écran, on le pénêtre dans la réalités virtuelles. Depuis les progrès de l'art holographiques, la perception cubiste n'est plus un découpage de facettes juxtaposées, c'est une tridimensionnalité littérale. Un autre artiste de Toronto, Graham smith, photographe de formation, devenu roboticien et informaticien pour résoudre le problème de la frontalité obligée des représentations photographiques et visuelles, a inventé Horizonscan, un système d'enregistrement vidéo à 360 degrés. Grâce à cette invention, on se trouve non plus devant, mais au sein de l'environnement visuel. Par ailleurs cette technologie permet d'enregistrer et de ramener à soi très littéralement les environnements que l'on veut explorer. Il est permis d'espérer que ce genre d'initiative artistique, prenant le relais de l'instruction psychologique, arrivera un jour à changer la perception visuelle ordinaire du monde du rapport frontal à la relation environnementale. Aujourd'hui, on demande à l'art comme à la technologie quelque chose d'aussi solide, d'aussi vérifiable physiquement, d'aussi utile et agréable que la perspective. 3. Extériorisation de l'imaginaire En condamnant l'imagination comme "une maîtresse d'erreurs et de faussetés", Pascal faisait fausse route. Ni lui, ni Montaigne n'avaient vraiment saisi le rôle psychologique fondamental de la lecture qui est de nourrir nos facultés imaginatives en nous obligeant à convertir l'abstraction des lettres en images multisensorielles à l'intérieur de la pensée. Si Pascal avait compris cela, il aurait aussi compris que l'ennemi de la conscience religieuse n'est pas le libertin, mais le livre, qui renverse notre orientation vers le monde en orientation vers soi. Cependent, depuis l'apparition de la télévision, notre imaginaire interne, n'a jamais cessé de s'extérioriser à nouveau. Or, si on peut encore reprocher à la télévision de substituer un imaginaire collectif à notre imaginaire privé, ce n'est plus vrai des multimédias interactif et des réalités virtuelles qui mettent un imaginaire objectif à la portée de nos manipulations. Sur l'écrans des hyper et des multimédias, la combinatoire que pratique tout naturellement notre cerveau pour constituer ses images, est devenue possible en dehors de lui. Comme la pensée individuelle, les ordinateurs tirent leur efficacité de leur traitement à la fois symbolique (significations) et pragmatique (simulation sensorielles) par l'électricité. La pulsion binaire fondamentale traduit tout, le sens et les sens, la direction et l'énergie, l'information et son résultat. La transfusion de toute notre sensorialité des modalités analogiques aux modalités digitales par numérisation, élimine l'obstacle de l'hétérogénéité des sens. Chaque sens devient traducible en termes de chaque autre. La vogue des multimédias reflète donc notre désir profond de projeter dans nos sens extériorisés une fonction cognitive intégrée. C'est le rêve de l'activité artistique et ce n'est pas un hasard si, aujourd'hui encore, la plupart des ingénieurs et informaticiens qui travaillent dans le domaines des machines virtuelles sont aussi des artistes. Un des plus connus d'entre eux est l'Australien Jeffrey Shaw dont l'oevre largement diffusée, Legible City, rassemble dans une métaphore aussi intuitive qu'humoristique la plupart des préoccupation décrites ici: l'utilisateur pédale sur un vélo fixe devant un grand écran pour explorer, au guidon, une grande ville faite d'immenses lettres de l'alphabet; on peut se déplacer dans des avenues de mots, chose que nous n'avons jamais cessé de faire depuis que nous avons appris à lire... Le choix d'une technologie aussi archaique que le vélo comme interface de contrôle -métaphore adoptée également par la Canadienne Nancy Patterson pour une installation comparable - souligne par antiphrase un autre aspect important de l'extériorisation de l'imaginaire. Les interfaces de contrôle entre l'utilisateur et la machine ont subi depuis le temps des contacteurs et des manettes électrique de la première génération d'ordinateurs jusq'aux systèmes de saisie de la voix, du souffle et du regard, une pression technologiques vers la dématérialisation. Ce travail inlassable d'invention pour arriver à l'interface idéal annonce prochaînement l'impact direct de la pensée sur l'action sans passer par le corps. Il s'agit donc bien de reconstituer en tout point les pouvoirs de synthèse sensorielle de la psyché à l'extérieur de la tête. Avec RB2 (Reality for Two), la machine virtuelle pour deux personnes construite par léquipe de Jaron Lanier, on a déjà le prototype de la première structure qui permette de partager et d'agir en direct sur une production imaginaire extériorisée. C'est grâce à ce détour par l'exploration de notre potentiel psychologique que la sensibilité esthétique doit finir par rejoindre la sensibilité écologique. Ce n'est pas en s'adressant directement à l'écologie par des oeuvres qui clament des rapproches dans le désert, mais en faisant grandir notre espace perceptuel et en nourissant des émotions planétaires. Parallèlement, la sensibilité écologique doit tôt ou tard commencer à interroger l'art pour poursuivre son travail de perception assistée à l'échelle du globe. Oliver Wendell Holmes a dit cette phrase profonde qu'"une fois qu'une grande idée à réussi à faire grandir l'esprit, ce dernier ne revient pas à sa taille originelle". La Terre entière est cette grande idée et elle est devenue un matériau artistique.